Toutes les expériences immersives peuvent-elles garantir un tel accompagnement réconfortant, sous des masques souvent austères? Certains laissent davantage les expérimentateurs à eux-mêmes, par exemple dans les jeux d’évasion qui n’ont pas recours à des acteurs en chair et en os, ou parce qu’ils poussent l’aventure toujours plus loin.
Afin de répondre à la demande du public amateur d’adrénaline, notamment à Montréal ou Drummondville, certains parcours d’horreur n’hésitent pas à proposer des activités de plus en plus scabreuses ou à demander à leurs joueurs d’indiquer s’ils ont prêts à recevoir des décharges électriques, se faire traîner sur le sol ou enterrer vivants, surtout durant la période de l’Halloween : « Mais à 10 heures, il y a encore des petites familles sur le site qui viennent juste pour vivre un parcours de maison hantée avec des citrouilles et une sorcière. Mais là, ils sont témoins d’actes de violence. Oui, le parent peut leur dire que ça reste un jeu, mais comment un enfant peut-il comprendre tout ça? Comment quelqu’un qui grandit dans une société doit-il comprendre que d’autres peuvent aimer maltraiter ou se faire maltraiter ? C’est sûr que tu peux te dire que c’est fait d’une façon sécuritaire, sans réel danger, mais tu te demandes jusqu’où ça peut aller. » se demande la fondatrice de LHOTEL54, Nancy Sauvé.
Suzie Laprise tente de s’expliquer ce courant d’effervescence que le Complexe Atlantide, où elle travaille, qui propose également des expériences d’horreur à l’année, a décidé de ne pas suivre : « Avec Internet, on regarde des vidéos et des séries qui sont très violents et auxquels on avait moins accès avant. Si je peux comparer avec le porno : à force de regarder des trucs un peu plus bizarres, qui visent un public moins général, le cerveau s’habitue au genre, il se désensibilise. Donc, il recherche chaque fois une sensation plus intense. » La sociologue Diane Pacom y entrevoit, au contraire, une réaction à une société aseptisée de toute forme de prise de risque :
« C’est une réaction à une société qui en soi est structurée et hyper contrôlée et contrôlante. Vous allez manger quelque chose et vous avez la certitude que ce que vous bouffez est passé par je ne sais combien d’étapes de contrôle. ». Diane Pacom, sociologue
Le sentiment d’urgence provoqué par la peur et le plaisir de sortir du cadre aideraient alors à se reconnecter avec le sentiment d’être vivant. Mais il ne suffit pas qu’une entreprise de l’horreur se dise plus « douce » pour que la question soit définitivement réglée puisque les geôliers, les zombies et les psychopathes peuvent avoir des éthiques des plus variables, d’une entreprise à l’autre. Ainsi, à LHOTEL54, et lors de La Nuit en prison du Musée Pop, on ne touche pas les clients, mais les hôtes de LHOTEL54 ne se gênent pas pour critiquer leur manque de bonnes manières à table, tandis que lors de La Nuit en Prison au Musée, certaines punitions peu agréables attendent les réfractaires : « Et si ça ne dort pas la nuit, il y en a que les gardiens vont faire lever et rester le long du mur, les bras en croix. Quand ça fait 15 minutes que tu as les bras en croix, ça commence à faire mal! » rapporte Claire Plourde. Du côté du Complexe Atlantide, même si la peur d’être touché est revenue sur plusieurs lèvres, le choix a quand même été fait de le garder dans certaines circonstances : « On ne le fera pas sursauter. Par contre dans une scène, par exemple, celle du dentiste, le dentiste va l’entraîner avec lui et l’asseoir sur sa chaise. Il va interagir et discuter avec lui et le reste du groupe va pouvoir observer. » raconte Suzie Laprise.
Pourtant, quiconque oserait prétendre qu’il s’agit là d’une forme de laxisme se ferait toiser avec des regards de foudre par les hôtes qui l’attendent, car chacun d’eux a sa notion du respect et y tient. Outre le toucher, les grands tabous concernent les commentaires discriminatoires ou sur le physique. Les visiteurs sont d’ailleurs généralement informés de ces règles, souvent écrites noir sur blanc, avant que le jeu ne commence. Et comme charité bien ordonnée commence par soi-même, surtout chez les monstres, ces règles rigoureuses s’appliquent aussi à la protection des acteurs : « On forme les maîtres du jeu pour ça. Le maître du jeu peut arrêter le jeu en tout temps, si jamais il y a des commentaires qui sont sexistes, déplacés, harcelants ou violents. On a 0 tolérance. Des commentaires sexistes, c’est arrivé une seule fois à une de nos comédiennes et elle nous a beaucoup aimés parce qu’elle a vu qu’on était derrière elle directement. On est un jeu intellectuel dans lequel il n’y a pas de physique. » se souvient Emmanuel de Gouvello d’Échappe-toi.
Donc, s’il y a bien un point à propos duquel tout visiteur potentiel devrait outrepasser ses appréhensions, c’est bien lorsque vient le temps de s’informer avant de faire son choix. Et, pour paraphraser la voix derrière le répondeur de LHOTEL54 « Si vous craignez que l’on ne vous rappelle pas, dites-vous qu’elle commence là… la peur! »
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- Pour en savoir plus sur les raisons de la popularité des aventures immersives, voyez le premier article de la série Soif généralisée d’adrénaline, d’endorphine et d’hémoglobine
- Afin de mieux comprendre comment et pourquoi le loisir immersif peut être utilisé en contexte de consolidation d’équipe, voir la partie 3 : L’Enfer, c’est les autres
- Si vous vous demandez comment le parcours de satisfaction client peut se cacher derrière la petite maltraitance des monstres, tournez-vous plutôt vers la partie 4 : Attention, ils veillent sur vous