Devoirs et risques sous le plaisir

Bien sûr, la responsabilité légale du gestionnaire d’assurer un comportement exempt de harcèlement en milieu de travail ne se délègue pas. Elle concerne toute une culture d’entreprise et suppose une vigilance constante. Mais quelle est alors la marge de manœuvre d’un animateur qui observe une situation de mise à l’écart?

Mais d’abord, comment s’établit une dynamique de bouc émissaire? Vous le saurez en consultant Déconstruire la loi du plus fort

Pour savoir comment identifier les situations et intervenir, voir la partie 2,Garder l’œil ouvert

Afin d’assurer à l’intervention une certaine continuité, Cindy Viau, du GAISHTsuggère  de prendre le temps de faire un rapport clair de la situation à celui qui a commandé l’activité et de garder en poche quelques ressources à proposer à la personne qui semble exclue : «Je comprends que ce n’est pas la personne qui est engagée pour faire du team building qui doit régler les conflits le soir, après l’activité. C’est peut-être de s’outiller, aussi connaître des ressources et avoir des cartes d’affaires pour pouvoir rapidement donner la bonne ressource à la bonne personne. Cela peut être une carte d’affaires pour un centre d’écoute, pour des personnes qui sont déprimées ou anxieuses, cela peut être pour le groupe d’aide, pour le genre de problématiques qui pourraient avoir un pattern qui ressortirait dans les entreprises.»

Et même si un animateur parvient effectivement à toucher les esprits et à faire réaliser que des injustices sont tolérées depuis trop longtemps, celui-ci doit demeurer conscient que cette prise de conscience peut éveiller des sensibilités ou des désirs d’agir. Le CRHA Jean-Claude Laurin conseille donc fortement aux animateurs de discuter franchement de cette possibilité et d’aller chercher un appui explicite du gestionnaire avant de s’engager à mener un groupe vers la consolidation : «Parce que quand tu interviens dans un système organisationnel, ça risque de bouger à bien des places. Les personnes peuvent aller au syndicat se plaindre ou faire des griefs. Il peut y avoir une crise entre deux personnes. Il faut que le gestionnaire soit averti de cela.»

Il est fort possible aussi que le groupe réagisse à la mise en évidence des exclusions qu’il fait vivre en nommant les raisons pour lesquelles une personne, parfois sans le vouloir, les irrite. Mais Jean-Claude Laurin considère que si une situation a ainsi dégénéré, le bouc émissaire devra adapter ses manières de faire, mais le groupe devra quand même réapprendre à travailler son acceptation. Il se souvient d’ailleurs d’être intervenu dans une telle situation où une employée dérangeait constamment ses collègues : «Elle faisait ça avec tout le monde. Le résultat est que tout le monde l’évitait. C’est sûr qu’elle était comme le bouc émissaire, mais il y avait de bonnes raisons. Il a donc fallu changer son comportement et surtout celui des autres vis-à-vis de cette personne. Dans ce cas-là, effectivement, il faut que je travaille avec le groupe.»

Mais le fait que le gestionnaire ou l’animateur soit frileux à l’idée d’assumer de tels risques ne justifie pas de tout faire pour les éviter. D’une part, pour les gestionnaires, laisser une situation s’envenimer peut facilement mener à des dépenses considérables en congés de maladie ou en règlement judiciaire. Du côté d’un organisateur en team building, un manque de transparence peut affecter sa crédibilité et parfois aller jusqu’à créer, à l’avis de Nicole Jeanneau, un terrain propice à des situations périlleuses : «Ce n’est vraiment pas l’idéal dans un contexte de team building, mais on peut au moins essayer de cibler le problème principal ou majeur qui nuit à l’activité du jour : si, par exemple, il y a une activité de rafting et que vous craignez par rapport à la sécurité, parce que cela pourrait aller aussi loin que, ‟Si celui-là tombe, on le laisse là, on ne va pas le chercher”.»

Si Maxime Albert n’a pas été confrontée à des comportements aussi extrêmes chez Rafting Montréal, même avec ses groupes d’enfants et d’adolescents les plus turbulents, c’est, d’après elle, grâce aux règles de prévention qu’elle s’impose. D’abord parce que, quel que soit l’âge des participants, les activités s’entament avec l’énonciation des principes de sécurité et de civisme, puis, en s’accordant le dernier mot sur l’organisation des groupes. Ensuite, durant l’expédition, elle veille à garder plus près d’elle dans son embarcation ceux qui démontrent moins d’assurance, afin de pouvoir réagir à la seconde, au besoin, mais aussi de multiplier les occasions de les intégrer au groupe : «Je fais ce qu’il faut pour les rendre plus confortables avec tout le reste des gens. Ainsi, à la place de remonter quelqu’un toute seule, je vais demander à une personne isolée ‟Est-ce que tu veux m’aider?”. Alors on collabore, chacun de notre côté, pour remonter quelqu’un dans le bateau. Comme cela, ça commence à les inclure dans le bateau sans qu’ils fassent tout par eux-mêmes.»

Mais agir sur la personne vulnérable ne suffit pas. L’intervenant doit aussi intégrer les leaders négatifs dans sa démarche pour parvenir à ses fins. Il s’agit d’une entreprise délicate, puisque perdre le soutien d’un leader informel peut avoir un coût réel sur le capital de sympathie du groupe en entier. À ce propos, Nicole Jeanneau suggère toutefois que, par son attitude, le leader négatif révèle quelques faiblesses dont un animateur habile peut profiter à bon escient : «Je crois que ces gens ont besoin de l’admiration des autres. Alors il faut, en tant qu’animateur, démontrer que l’on apprécie certains comportements et les valoriser, mettre l’emphase là-dessus et souligner un mauvais comportement sans attaquer la personne, seulement en signalant que ce n’est pas le genre de comportement que l’on va accepter ici.»

Crédit photo: Photo by Dane Deaner sur Unsplash

Et, si ce fameux leader n’a pas encore su se démarquer par un comportement particulièrement reluisant, Jean-Claude Laurin pense que de valoriser son pouvoir d’influence peut déjà constituer un bon point de départ : «Tu le prends à part et tu lui dis ‟Je vois que tu as beaucoup d’influence dans le groupe, mais ce que je perçois, c’est que tu encourages des comportements assez discriminatoires”, admettons. Tu donnes alors des exemples et tu lui dis ‟J’ai besoin de ton aide pour changer cela”. Donc, tu vas identifier les résistances d’entrée de jeu et comme elles risquent d’influencer les autres, si tu le mets de ton bord en partant, tu as un atout de plus dans ton processus.»

Cela dit, l’animateur ne doit pas non plus négliger l’influence que lui octroie son rôle de guide pour une journée, non seulement par ses propos, mais aussi par ses actes. Cela est particulièrement important dans ces moments charnières où les croyances se fragilisent et où l’équipe s’ouvre peut-être à des solutions nouvelles. Yann Morin, du GAISHT, constate que les occasions de proposer sont nombreuses, même pour apprendre à s’ajuster à une différence dérangeante, comme une propension à poser des questions trop longues :

«Peut-être qu’en réagissant deux ou trois fois dans l’activité, quand il pose des questions comme cela, et le faire gentiment devant le groupe, ça aidera le groupe à réaliser qu’il est possible de dire gentiment à quelqu’un ‟Raccourcis tes questions, ça nous aide beaucoup”. Si ça vient du groupe, cela va déjà être plus positif.»  Yann Morin, du GAISHT

La psychologue Nicole Jeanneau semble toutefois convaincue que pour parvenir à inspirer ainsi au groupe un désir d’évoluer dans sa manière d’être, l’animateur doit lui-même aller bien au-delà du savoir-faire. Il peut commencer par se poser lui-même les bonnes questions quant à sa motivation : «C’est comme en thérapie : il faut établir un genre de relation de confiance. C’est très difficile d’avoir confiance en quelqu’un qui ne nous semble pas authentique. Ce serait donc mon message aux animateurs : soyez le plus authentique possible, faites-le parce que vous avez envie de le faire; s’il y a une raison qui vous chicote et que vous n’êtes pas bien, cela va se ressentir.»

Et peut-être que, finalement, de croire sincèrement, comme Maxime Albert, qu’à coup de pagaie, on pourra faire avancer quelque chose de plus fondamental et de plus relationnel que sa petite embarcation, peut aider à en convaincre les autres :

«Tout le monde est égal devant la vague qui s’en vient, parce que tout le monde est dans le même bateau. C’est la première fois que tout le monde voit la vague qui s’en vient. Une fois que la vague est passée, tout le monde rit. […] C’est une activité qui permet de découvrir ses collègues sous un autre jour. Et, quand ils reviennent au bureau, ça leur fait un souvenir à partager. Ça fait du bien de voir comment, à la toute fin, le monde se parle, même si au début, ils ne le faisaient pas. » Maxime Albert, guide de rafting chez Rafting Montréal

 

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Le mois prochain, voir notre article sur l’usage des animaux en Team building

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Marie-Hélène Proulx
Fondatrice en 2017 de Portail Immersion, Marie-Hélène est avant tout une passionnée des activités et des loisirs immersifs avec une très grande expérience dans la production de répertoire pour les loisirs et la jeunesse.