Les livraisons de fleurs existent depuis longtemps. Pourtant, Covid ou pas, Daniel Fleuriste trouve des adeptes.
La crise oblige à repenser ses façons de faire. Et si les bonnes approches qui assureront la survie des petits commerces étaient déjà en train de se forger, un peu partout à travers les gestes quotidiens de ceux qui œuvrent dans les entreprises de services ayant pignon sur rue?
De la toile au « brique et mortier »
Qu’ils proviennent des milieux universitaires, comme Louis Fabien, ou d’associations de commerçants, les experts s’entendent sur le fait que les transformations culturelles, technologiques et sociales ne permettront plus jamais aux façons de faire d’un hier pas si lointain de revenir comme avant : «Le client va tellement avoir changé : toutes nos valeurs, nos façons d’acheter, nos budgets, tout va changer au niveau du consommateur.» De toute façon, d’après le professeur de marketing des HEC, quel que soit le moment, il est toujours une erreur de s’asseoir sur ses lauriers, si on compte plaire à un client en transformation continue.
Bien sûr, qui dit « transformation des façons d’acheter » pense maintenant « achats en ligne », qui ont augmenté de 110,8%, selon Statistique Canada, entre mai 2019 et mai 2020. Cette conquête des plus réfractaires au commerce virtuel n’a rien pour rassurer ceux qui avaient déjà du mal à retenir leur clientèle loin des charmes des Amazon de ce monde. Pourtant, nuance le directeur général de Détail Québec, Manuel Champagne, dans bien des cas, la crise a aussi forcé à une harmonisation entre l’image et les possibilités que l’entreprise offre sur son site ou son portail web, ses réseau sociaux, ses infolettres et ce que le client peut trouver au magasin. Monsieur Champagne note d’ailleurs une forte croissance, même dans le magasin, de l’usage de diverses technologies afin d’assurer le suivi des préférences et des habitudes des clients et des contenus d’inventaire.
Il est d’ailleurs remarquable de voir à quel point, au cours des dernières décennies, les études sur les façons d’humaniser l’accès au commerce en ligne et à toutes les nouvelles technologies se sont multipliées. Mais pour parler aux étudiants universitaires des commerces qui se concentrent plutôt sur le soutien dans l’achat de vos prochains outils, de votre petit pot de confiture local, ou encore de la prochaine paire de chaussures et du clin d’œil de la serveuse qui vous feront craquer…, il y a Louis Fabien, qui aux HEC avoue se sentir un peu seul, parmi ses confrères universitaires, avec sa grande passion : «Mes collègues en parlent un peu dans leur cours, mais ils vont en parler peut-être 20 minutes. Ils n’ont aucune idée comment je peux en parler durant 40 heures et comment j’ai pu écrire un livre de 200 pages sur le service à la clientèle. Cela, ça les dépasse. C’est la raison pour laquelle je donne des cours dans différents programmes.».
L’expérience client : peu de théorie, beaucoup de pratique
Il est d’ailleurs remarquable de voir à quel point, au cours des dernières décennies, les études sur les façons d’humaniser l’accès au commerce en ligne et à toutes les nouvelles technologies se sont multipliées. Mais pour parler aux étudiants universitaires des commerces qui se concentrent plutôt sur le soutien dans l’achat de vos prochains outils, de votre petit pot de confiture local, ou encore de la prochaine paire de chaussures et du clin d’œil de la serveuse qui vous feront craquer…, il y a Louis Fabien, qui aux HEC avoue se sentir un peu seul, parmi ses confrères universitaires, avec sa grande passion : «Mes collègues en parlent un peu dans leur cours, mais ils vont en parler peut-être 20 minutes. Ils n’ont aucune idée comment je peux en parler durant 40 heures et comment j’ai pu écrire un livre de 200 pages sur le service à la clientèle. Cela, ça les dépasse. C’est la raison pour laquelle je donne des cours dans différents programmes.».
Les entreprises font également appel à ses conseils, ce qui lui laisse présumer qu’une grande demande pour s’adapter aux nouvelles tendances du marché a néanmoins persisté au cours des années. Est-ce dire que les petits entrepreneurs se confrontent à une pénurie de formation? Assurément pas. L’éventail des formations, parfois en ligne, gratuites ou à peu de frais, allant jusqu’aux consultants, ou en passant par des formations clé en main, en classe ou en entreprise, parvient à combler assez largement la demande, assure Laëtitia Missipo-Ndembat : «C’est sûr qu’il y a des organismes sans but lucratif comme le nôtre, mais il y a aussi des entreprises privées. Je pense que dans le secteur de la formation, aujourd’hui, il y en a vraiment pour tous les goûts et tous les budgets.».
Même les défis du Coronavirus n’arrêtent pas les formateurs, et tandis que Détails Québec a déjà conçu plusieurs outils pour créer des milieux de travail sécuritaires en temps de pandémie, l’ITHQ préparait la formation «100% accueillant», qui aborde les aspects plus humains du service à la clientèle.
Apprendre à approcher le client, un pas à la fois
De l’employé loyal au client fidèle
Sa collègue Laëtitia Missipo-Ndembat renchérit en affirmant que si les employés ne se maintiennent habituellement en poste qu’entre un an et cinq ans, il en faut beaucoup moins pour perdre un ou plusieurs clients servis maladroitement «Même si les gens ne restent pas longtemps, c’est votre marque employeur, c’est votre entreprise, c’est votre nom qui est mis au-devant de la scène. Si vous ne formez pas vos équipes de travail, si la personne ne reste que deux ou trois ans, même six mois, et si je viens dans votre commerce et que j’ai une mauvaise expérience avec votre employé, soyez sûrs que moi, vous m’avez perdue définitivement.»
De même, Daniel Gallant, qui a conçu la formation 100% accueillant et occupe des fonctions de gestionnaire pour la chaîne d’hôtellerie Épik Collection, est bien placé pour savoir que formation et roulement de personnel sont loin de s’opposer. Au contraire, selon lui, un roulement important justifierait encore davantage de formation pour s’assurer qu’une culture d’entreprise se maintienne, malgré tout:
«Alors les gens se demandent pourquoi les former ici: de toute façon, ils vont quitter! Mais il y a quelque chose qui est encore pire: c’est si nous ne les formons pas …et qu’ils restent! » Daniel Gallant, professeur à l’ITHQ
L’idée est donc généralement admise que fidélisation des employés et celle des clients vont de pair et que la formation joue un rôle incontournable pour résoudre la part d’inconnu de cette équation. Et, à l’avis de Louis Fabien, grâce à la formation, des secteurs comme l’hôtellerie et le commerce peuvent même transformer la contrainte de dépendre d’une main-d’œuvre composée en grande partie d’étudiants en opportunité, en intégrant les personnes en début de carrière et ayant un fort bagage de connaissances spécifiques dans leur rang : «Si nous avons un bon employé étudiant et qu’il est très performant, pourquoi ne pas le garder et l’engager ou lui donner un stage; à ce moment-là, nous avons déjà évalué la personne et nous avons un très bon employé qui connaît notre institution.»
Formés pour monsieur Tout-le-Monde
D’après ce professeur des HEC «Une bonne formation devrait préparer l’employé à gérer environ 85 % des cas qui arrivent et qui sont un peu hors de l’ordinaire.». Chez Détail Québec, on parle d’environ 5% de l’ensemble des clients dont l’attitude récalcitrante pourrait troubler l’équilibre des lieux, que ce soit dans leurs propos ou par leur refus de porter le masque ou de se laver les mains.
Manuel Champagne parle même d’une réduction notable de l’opposition, à travers les mois qui passent, depuis l’imposition officielle du masque dans les commerces: «Ils sont une minorité, mais c’est sûr qu’ils viennent gâcher la sauce. C’est comme un client qui se plaint : ce n’est pas tous les jours que nous en voyons, mais sur les clients dont on se souvient, ils ne sont pas rares. Il faut avoir une assez bonne carapace aussi.».
Il est vrai que la perspective de rencontrer un client sur vingt qui risque de nous pousser au-delà de nos compétences émotionnelles n’a rien pour donner aux personnes moindrement vulnérables envie de retourner au boulot le lendemain matin. Mais de l’aveu même de leurs concepteurs, les formations dispensées ne sont pas conçues pour affronter les cas les plus problématiques ou menaçants: ceux-ci devraient relever de l’intervention du supérieur, voire des forces de l’ordre.
Daniel Gallant justifie d’ailleurs ce choix de créer des formations conçues pour favoriser l’expérience agréable du plus grand nombre, plutôt que de se concentrer sur une minorité problématique: «Et ce n’est pas vrai que je vais trouver une formation pour essayer de traiter avec le client qui veut tout simplement ne pas comprendre. Il n’y a aucune formation qui peut nous préparer pour ça. Donc, nous n’essayons pas de régler ces situations-là.»
Une vulnérabilité silencieuse
De toute façon, la demande pour les façons de gérer les risques d’escalade n’y est pas, du moins, assurément pas à Détail Québec, en ce qu’en rapporte Laëtitia Missipo-Ndembat, même si son organisation a déjà quelques formations de créées pour répondre à ce besoin: «Ce qui est plus demandé, c’est ‟Expérience client” et ‟Service 20/20” : comment faire vivre une bonne expérience client en temps de pandémie.».
Pourtant, les experts sont loin de tous partager la perception que les esprits se soient apaisés avec le temps. Louis Fabien évoque notamment la multiplication des cas de santé mentale, qui peuvent rendre les relations aux autres plus souffrantes. Il croit d’ailleurs que le simple fait de s’enfoncer dans l’hiver rend plusieurs personnes encore plus fragiles, ce qui ne facilitera pas la suite des choses : «Les clients souffrant de maladies mentales ont toujours existé. Ce sont des cas extrêmes. Je dirais aussi que, malheureusement, la pandémie va augmenter beaucoup cette problématique si elle continue. Elle l’a déjà augmentée beaucoup. Parce qu’il y a des gens parfaitement normaux qui souffrent de détresse psychologique, des gens qui vivent seuls, qui se retrouvent en burn-out et deviennent beaucoup moins tolérants devant les entreprises.»
De même, chez l’ensemble des experts consultés, les cas particulièrement difficiles sont assez spontanément associés à des situations de détresse psychologique ou à une problématique de santé mentale. Or, déjà, à la fin mai 2020, d’après les chiffres publiés par Statistique Canada, 24% des Canadiens «…ont déclaré que leur santé mentale était passable ou mauvaise». Et, bien que cela ne réduise pas à néant l’objection des commerçants ne voulant pas jouer les thérapeutes, ce fait devrait au moins amener à réviser la position que davantage de formations préventives en ce sens ne seraient pas bénéfiques aux entreprises.
Pour le quotidien… tel qu’il est perçu
D’autres problématiques mériteraient également, à cause de leur prévalence dans la population, d’être abordées de façon structurelle plutôt qu’en faisant tout dépendre de la débrouillardise relationnelle de la première ligne. Tous les experts reconnaissent les difficultés de communication qu’entraîne le masque. Mais, encore là, les solutions proposées relèvent le plus souvent du cas par cas.
Mais peut-on encore ranger les difficultés auditives qui, naturellement, accroissent le besoin de lire sur les lèvres, comme des cas d’exception? Il suffit que de quelques clics pour apprendre que, d’après les données de Statistique Canada datant de 2109, 64,6% des 40 à 79 ans souffriraient de perte auditive moyenne ou profonde. L’étude précise également que 77% des personnes atteintes d’une perte auditive n’en étaient pas conscientes avant le test audiométrique intégré à cette recherche.
De tels problèmes n’ont pas été totalement négligés, puisque l’on peut déjà trouver des trousses de formations fournies par L’Association des personnes avec une déficience de l’audition, Audition Québec et le Conseil canadien du commerce au détail sur le sujet. De plus, des «masques à fenêtre transparente» sont vendus par L’Association des personnes avec une déficience de l’audition, quelques entreprises privées d’ici et d’ailleurs ou peuvent être fabriqués à partir des indications fournies par Santé Québec depuis le début de la pandémie.
Or, on observe sans difficulté que leur utilisation est loin de s’être normalisée, pas plus d’ailleurs que les autres suggestions de l’Association des devenus sourds et malentendant du Québec (ADSMQ), comme d’augmenter la luminosité, réduire les bruits ambiants, avertir avant de changer de sujet, recourir plus systématiquement à l’écrit, aux écrans ou à des outils technologiques de plus en plus courants (ne serait-ce qu’un simple texto).
Multiplier les yeux et les oreilles autour du masque
Pourtant, autant Daniel Gallant que l’équipe de Détail Québec reconnaissent l’importance d’impliquer les employés de première ligne dans la proposition des pratiques d’avenir en entreprise, ainsi que l’exprime Monsieur Gallant: «Mais il n’y a rien d’impossible. Et s’il y a une belle collaboration entre les employés de première ligne, les gestionnaires et des formateurs, nous allons y arriver plus vite que si ce sont seulement les formateurs, tout seul sur leur île, qui essaient de développer des vraies solutions. Les situations, sur le terrain, ce ne sont pas nous qui allons les trouver. Nous pouvons avoir des pistes de solutions, mais il faut absolument les adapter à la réalité des employés de première ligne. Et c’est ce que nous allons faire.»
Outre l’identification de ces situations problématiques, le simple fait de se sentir impliqués dans les règles qui les concernent contribue à ce que les employés de première ligne s’identifient davantage aux valeurs qu’ils doivent défendre. Il ne faut pas négliger non plus, souligne Marie-Pierre Bourdages-Sylvain, le rôle de relais que peut jouer cette première ligne entre la direction et le client. Celle-ci se trouve, en effet, en posture privilégié pour voir et entendre les besoins des clients: «Je pense que la culture organisationnelle est un élément central. L’employeur et les employés doivent travailler de concert pour construire une culture organisationnelle qui soit forte et une identité organisationnelle qui soit porteuse, au regard des projets de l’organisation, mais aussi au regard des employés qui œuvrent dans cette organisation, pour que nous ayons une vision organisationnelle qui fait sens à la fois pour les clients, pour les employés et les employeurs.»
Quelques pistes pour continuer vos démarches
Voilà donc le champ des possibilités auquel ouvre l’écoute des employés de première ligne. Mais la question ne s’arrête pas là : il y a aussi beaucoup de risques à ne pas le faire, qui sont discutés dans l’article Une tape dans le dos, et on continue?
Maintenant, que savons-nous déjà sur les attitudes qui contribuent à ce que les employés parviennent à poser leurs limites? Nous en discutons dans Employés recherchent pouvoir d’action.
Et pour s’assurer que la relation à l’humain, qui prévient beaucoup de problèmes, ne soit pas laissée en reste dans ce processus, consultez Bien équipés pour l’empathie, derrière le masque?
Par ailleurs, nous avions déjà exploré la thématique de la formation et de ses facteurs de succès dans Un changement qui se travaille de l’intérieur.
Le fameux ouvrage sur le service à la clientèle de Louis Fabien vous intrigue? vous le trouverez publié par JFD éditions, sous le nom de Marketing de services, Amélioration continue de l’expérience client (2017)
Un chaleureux merci à tous les interviewés, ainsi qu’à Stéphane Proulx, MBA et directeur du marketing chez Cisco, pour ses conseils de rédaction!