Votre père et votre grand-père vous ont appris que la valeur d’un être humain est à la hauteur des principes qu’il a le courage de défendre. Vous en avez fait votre raison d’être, longtemps. Mais aujourd’hui, enfermé au fond de votre cellule à attendre votre tour pour la peine capitale, vous êtes pris par le doute. En tentant d’apaiser les angoisses de votre dernière heure, vous ne pouvez vous empêcher de vous demander si ceux qui vous ont transmis ces idéaux s’y tiendraient, dans le Canada corrompu d’aujourd’hui, où la peine de mort vient tout juste d’être rétablie et semble déjà vouloir s’appliquer comme dans une république de bananes.
Les sénateurs ont fait passer leur projet de loi mortel sous prétexte de protéger. En effet, il n’est pas nécessaire d’aller très loin pour faire peur à la population. Depuis plusieurs mois, les journaux ne font que décrire les méfaits d’un supposé groupe d’anarchistes écologistes. Personnellement, vous et vos proches doutez de leur existence aviez plutôt la conviction qu’il s’agit de mise en scène de l’état pour détourner l’attention des rumeurs de très probables pots-de-vin versés par les gros pollueurs à des haut placés de la région.
Vous avez évoqué cette hypothèse sans doute un peu trop fort et, depuis, on est venu vous chercher chez vous, devant vos proches, on vous a enfermé et on revient régulièrement vous tabasser dans votre cellule, pour vous faire avouer vos liens étroits avec ceux que l’on appelle ici les «sales écolos d’anarchistes». Mais jusqu’à ce jour, votre dernier jour, en fait, pas un avocat ni un de vos proches n’a pu venir plaider votre cause. Il faut dire que, par les temps qui courent, avocat ou pas, il n’est pas trop prudent de s’associer à votre cause.
Vous aviez donc déjà renoncé à tout soutien en ce monde lorsqu’une voix que vous n’espériez plus, s’est fait entendre à travers le mur de votre cage : «Ne vous en faites plus, vieux, on est là pour vous». Vous avez reconnu la voix de l’un de vos amis, parmi ceux qui partagent activement vos valeurs depuis toujours et ne vous ont jamais déçu. Dans le contexte actuel, qu’ils aient trouvé le moyen de se faire condamner ne vous étonne pas, qu’ils aient trouvé à qui offrir des faveurs pour obtenir une cellule connexe à la vôtre est un art qui s’apprend vite, dans un contexte social où, maintenant, pratiquement tous les passe-droits et les valeurs les plus nobles semblent prêtes à se vendre au marché noir.
Vous n’auriez jamais osé espérer un tel sacrifice de leur part. À quoi bon? Vous êtes surveillé de toute part. Que peuvent pour vous, même des frères de sang, cloîtrés eux-aussi entre les murs d’une cellule? Leur plan d’évasion pourra-t-il vraiment tenir la route ou vos plus fidèles compères ne viennent-ils pas de s’engouffrer, eux aussi, sans le savoir, dans un guet-apens?
Mots-clés : Escaparium, jeu d’évasion, prison
