Des ententes préalables et la possibilité d’arrêter en tout temps font que le respect des limites de la part de l’équipe d’accueil passe souvent au second plan des appréhensions et des défis qui attendent les visiteurs des lieux d’immersion. En revanche, l’enjeu de ce qui se dévoilera, de soi ou des autres, envahi de plus en plus les esprits.
Et à l’avis de tous, une mise en scène dont il faut se sortir ensemble offre un accès à d’autres aspects de la personnalité de ceux que l’un croyait connaître, que ce soit leur degré de tolérance à la taquinerie, un côté craintif ou protecteur. Claire Plourde en a fait l’expérience elle-même avant d’envoyer d’autres détenus passer une nuit dans sa Vieille prison de Trois-Rivières :
« C’est fascinant de voir comment, entre codétenus, implicitement, il y a des rôles qui se donnent. Il y en a un qui va surveiller le gardien pour voir quand il va arriver et avertir les autres. D’autres cherchent comment on pourrait déroger à certaines règles. Il finit toujours par y avoir un chef de bande, comme en prison, qui, lui, va mener les autres. » Claire Plourde, Musée Pop
Sa propre disposition à s’ouvrir à l’autre, à se révéler, si possible, par ses forces, devient alors souvent l’enjeu principal : « Je ne suis pas du tout d’accord avec les gens qui disent que le fait d’avoir peur ensemble ça nous fait ressortir plus soudés. Je crois que c’est le fait de faire quelque chose ensemble qui nous rend soudés. C’est Platon qui l’a dit, ce n’est pas moi : ‟Jouez ensemble pendant une heure, vous allez mieux vous connaître qu’en discutant ensemble pendant un an.” On arrive à générer un dialogue par le fait que les gens vivent quelque chose ensemble. À mon avis, ça arrive parce qu’ils ont un objectif commun pendant une heure, parce que c’est la logique du jeu. » insiste le fondateur d’Échappe-Toi, Emmanuel de Gouvello. Et si Suzie Laprise croit, quant à elle, que d’expérimenter la peur, lors d’un parcours dans les bois, relève davantage du ressenti individuel, elle admet que la peur, de même que le courage, peuvent s’avérer contagieux. Elle observe aussi que la perspective d’être séparé de son groupe peut s’avérer un moteur puissant pour déclencher la peur, par exemple lorsque des zombies s’aventurent un peu trop près et font mine d’enlever certains visiteurs : « Alors c’est sûr que là, les gens ont le stress de se demander ‟Où on m’amènera ? Je ne veux pas m’éloigner de mon groupe.” »
Mais pour que le courant passe, encore faut-il que les individus concernés se montrent prêts à faire partie du jeu. Insister sur ceux qui semblent se laisser entraîner de reculons, donne d’ailleurs rarement les résultats les plus reluisants : « Ça arrive surtout lorsque c’est le patron qui paie pour eux et qu’eux viennent là pour boire et fêter avec leurs collègues. Les gens veulent rester entre eux et c’est dans ces groupes que l’on rencontre un peu plus de soupes au lait. » observe Nancy Sauvé. Cette difficulté auprès de certains groupes en consolidation, qui constituent tout de même 40% de sa clientèle, a également été constatée par Emmanuel de Gouvello, qui a appris avec le temps que de grands discours sur l’entraide ou la motivation ne changeaient pas grand-chose non plus sur les chances de mobiliser les réticents. Par contre, valoriser le rôle de leader positif des personnes dont la motivation est plus élevée peut jouer un rôle déterminant sur la satisfaction générale : « Ce n’est pas à moi de me remotiver parce que je ne sais même pas que je suis démotivé. Je suis dans un état où je ne me vois pas : je sais seulement que je ne sais plus quoi faire. Alors ce que l’on dit au maître du jeu, dans un cas comme ça, c’est ‟ Vous demandez de l’aide aux personnes démotivées ”. Parce que si vous me demandez de l’aide, moi, ça va me remotiver. Donc, dans un groupe de six, si une personne est démotivée, les cinq autres doivent lui demander de l’aide. »
Claire Plourde constate d’ailleurs que chaque client sait habituellement très bien démontrer l’attention qu’il veut ou ne veut pas obtenir. Ainsi, les moins enthousiastes opteront souvent pour la discrétion : « Eux ne causeront pas de problèmes. Ils vont se confondre avec les murs, un peu comme les vrais détenus en prison. Ils vont être des détenus modèles. Ceux qui ont décidé de tester le gardien vont se retrouver à faire le service, le lendemain matin au déjeuner, et à être affublés d’un petit surnom. Les gardiens ne se mettront pas sur le dos d’une pauvre petite fille de 14 ans qui a l’air déjà stressée à l’idée d’entrer en prison. » Même son de cloche du côté de Nancy Sauvé, qui voit souvent des visiteurs suivre une forme de montée amicale de la provocation, qui alimente la dynamique des acteurs, par exemple si l’un s’est fait sermonner sur ses coudes sur la table :
« Souvent, pour le reste de la soirée, ils vont nous agacer : ils vont nous surveiller. Et quand on part, ils vont remettre les coudes sur la table pour qu’on leur donne un peu d’attention. Ils sont là pour être animés. Ça leur plaît d’attirer les animateurs vers eux; alors, de toutes les façons possibles, ils vont essayer. Mais si c’est fait d’une façon déplaisante, nous, on ne répondra pas à l’animation à la table. Généralement, ils arrêtent. » Nancy Sauvé, fondatrice de LHotel54
Mais le plaisir ou le drame qui marqueront les mémoires ne dépendront pas seulement de la seconde où ils sont vécus. Chaque responsable insiste d’ailleurs sur l’importance de retravailler la perception de ce qui est vu et ressenti jusqu’à la dernière seconde, surtout à la dernière seconde, en fait, où un débreffage est toujours de mise. Il s’agit alors de tâter le pouls du groupe, mais aussi d’aider à saisir les mécanismes internes et les logiques implicites qui peuvent expliquer ce qui s’est passé, dans ces univers à la limite du réel, ou de valoriser l’implication des personnes plus discrètes, pour que chacun puisse en repartir avec un sentiment de fierté : « Notre but n’est pas seulement de répondre à votre demande immédiate, mais de transformer votre expérience en bons souvenirs. Pour être capable de faire ça, il faut que nos clients nous écoutent. S’ils ne sont pas un tout petit peu frustrés lorsqu’on entre dans la salle, ils ne nous écoutent pas. C’est beaucoup plus facile pour nous de débrieffer un groupe qui n’est pas sorti qu’un groupe qui est sorti. Les groupes qui sont sortis ne sont pas les plus heureux. Le succès n’a rien à voir avec le bonheur, en fait. Donc le maître du jeu dit : ‟ Oui, on va vous répondre à tout ça, mais, d’abord, on va revenir au début du jeu pour s’assurer que l’on a tous vécu la même histoire.” » explique Emmanuel de Gouvello, dont certains clients essaient même de reproduire des ambiances similaires, par la suite, à la maison.
Et cette étape est d’autant plus importante dans un contexte éducatif où, comme le souligne Claire Plourde, la réflexion suscitée figure parmi les objectifs de premier plan : « Je vais te citer un professeur qui est venu avec sa classe et qui nous a dit que ça fanfaronnait dans la classe en arrivant et que le lendemain matin, quand ils ont embarqué dans l’autobus, tout le monde était silencieux. Et ce n’est pas parce qu’ils avaient nécessairement mal dormi. C’est parce que tout le monde était en mode réflexion. Ça, c’est quand on a atteint notre but. »
- Pour en savoir plus sur les raisons de la popularité des aventures immersives, voyez le premier article de la série Soif généralisée d’adrénaline, d’endorphine et d’hémoglobine
- Pour apprendre jusqu’où peut s’aventurer ce type de jeu de rôle, consultez plutôt le second article : De l’angoisse sur mesure, s’il vous plaît
- Si vous vous demandez comment le parcours de satisfaction client peut se cacher derrière la petite maltraitance des monstres, tournez-vous plutôt vers la partie 4 : Attention, ils veillent sur vous