Soif généralisée d’adrénaline, d’endorphine et d’hémoglobine

Vous qui pensiez que vos pairs humains déambulaient en ce monde, en quête de confort et de sécurité, honte à vous, pauvres mortels! Ce serait ignorer cette part sombre de vous-même, qui a ouvert la porte à des activités dont la popularité se répand au rythme d’une pandémie, dans lesquelles on se fait enfermer, effrayer, punir, voire pire! Et cela, parfois, sous prétexte de vous offrir du plaisir, de consolider vos liens ou de parfaire l’éducation de nos jeunes. Attentes légitimes ou illusions?

Et si vos tortionnaires potentiels connaissaient mieux vos besoins que vous ne l’imaginiez?

Selon les constats de la sociologue et professeure émérite Diane Pacom, la tendance à rechercher les situations où il est de mise de se laisser rudoyer n’est pas nouvelle. Elle expliquerait d’ailleurs l’intérêt des populations depuis longtemps pour les récits d’horreur. Elle souligne aussi que les études de cas des psychanalystes en font aussi mention depuis des siècles : « C’est donc la transposition de quelque chose qui existait avant, mais à travers un univers technologique et scientifique.» Toutefois, ils furent autrefois surtout associés à des comportements atypiques. Mais peut-on ainsi qualifier cette quête encadrée d’émotions intenses de simple tendance marginale quand on sait que certains jeux d’évasion, comme Échappe-Toi, ont accueilli plus de 250 000 adeptes en 4 ans? Son fondateur, Emmanuel de Gouvello, admet toutefois avoir été un peu pris par surprise par la demande de sa clientèle d’un traitement plus brutal qu’il ne l’aurait cru :

« Le premier maître du jeu, c’était moi. Il se trouve que lorsqu’on a prévu un jeu avec une prison, on avait acheté un uniforme de gardien de prison. Donc, les gens sont arrivés et ils s’attendaient à ce que le gardien de prison ne soit pas gentil. Comme je suis empathique, j’ai répondu à la demande des gens qui ne voulaient pas un gardien de prison gentil. Alors je suis devenu moins gentil. Je l’ai analysé après : je ne m’en étais pas rendu compte sur le moment.» Emmanuel de Gouvello, fondateur d’Échappe-toi

Depuis le début de cette aventure, l’offre s’est raffinée et des acteurs professionnels, plus à l’aise à jouer la constante alternance entre l’apparence sévère et le désir secret d’aider leurs prisonniers, sont venus remplacer Emmanuel de Gouvello, dans l’interprétation du scénario. Celui-ci a aussi cru bon de répondre à la demande de la clientèle en remplaçant le premier scénario par un deuxième, puis un troisième scénario d’Al-Patraz : « Les gens qui viennent jouer pour se faire mettre en prison s’attendent à être mis en prison. Ça fait même partie d’une sorte de fantasme, on pourrait dire, de jouer comme si c’était pour de vrai. »

L’engouement est devenu à ce point dans les mœurs que le Musée Pop (auparavant nommé Musée de Culture Populaire), à Trois-Rivières, en est venu à orienter avant tout ses expériences d’internement d’une nuit en prison vers la clientèle scolaire, avec l’accord des parents. « Des professeurs reviennent d’année en année. Moi, comme adulte, je ne suis pas sûre que je reviendrais plusieurs fois en prison. Cela demande un certain don de soi, parce qu’eux ne dorment pas beaucoup. Ils ont quand même leurs élèves à encadrer. Ça vient de partout au Québec et même de l’Ontario francophone. » rapporte Claire Plourde, du service de développement des publics du Musée Pop. En dépit de la propension toujours plus grande à l’expérience immersive des musées, il est difficile ici, tout comme chez Échappe-Toi, d’en déduire qu’elle reste toujours à la remorque des technologies, puisque la magie du spectacle repose parfois sur les interventions de quelques acteurs aux talents d’improvisateurs, comme ceux qui couraient déjà les rues du temps de Molière.

Mais que viennent-ils chercher, au juste? À l’avis de tous, une occasion de fuir les normes de la vie quotidienne, de se retrouver ailleurs, par la bulle que leur procure un scénario. Ils entrent donc dans un monde différent où le jeu de l’acteur les protège des conséquences de leurs actes et leur offre un sentiment de liberté, même si, étrangement, cette licence les amène plus souvent à se retrouver dans le rôle des victimes que des sans foi ni loi :

« Les gens recherchent des choses différentes. Les gens aiment se faire sortir de leur zone de confort. Beaucoup de gens ont beaucoup d’humour et aiment beaucoup rire des autres sans méchanceté. […] On veut donner une expérience complète et amener les gens ailleurs pour qu’ils oublient leur quotidien, qu’ils pensent à autre chose et qu’ils s’évadent, tout en demeurant dans l’amusement populaire. » explique Nancy Sauvé, sorcière aguerrie et fondatrice de LHOTEL54.

Mais Claire Plourde n’entrevoit pas dans les expériences muséales immersives seulement une occasion de fuir la réalité, mais au contraire, parfois, de se laisser toucher par ce qui nous entoure ou par notre histoire, beaucoup plus directement qu’en prenant des notes ou en luttant contre le sommeil dans une classe du cégep ou du secondaire. Afin de répondre aux attentes des professeurs, le Musée Pop a, il est vrai, ajouté des aspects plus directement reliés à la sensibilisation à propos des prisonniers politiques et des témoignages sur les chemins pouvant mener à la délinquance : « Tu as des élèves du secondaire et des étudiants en criminologie. Ils reviennent parce que les jeunes, en sortant de là, ont eu un message qui est porteur au niveau de la délinquance. Ils se rendent compte que ce n’est pas un endroit pour retourner. »

Photo de Marie-Claude Michon, pour le Musée Pop 

Pour d’autres, entrer dans un cadre fictif devient avant tout un moyen d’affronter ses démons intérieurs : « Il y a des gens pour qui, dans leur cerveau, la différence ne se fait pas entre jeu et réalité. Ils sont en panique parce qu’ils ne parviennent pas à faire cette coupure. » remarque Nancy Sauvé. Suzie Laprise, responsable des loisirs pour le Complexe Atlantide, remarque d’ailleurs que des gens se rendent à leur maison hantée de Saint-Calixte avec la ferme intention de combattre leurs peurs :

« C’est comme les gens qui sautent en parachute. Il y en a pour qui c’est plus pour une recherche de sensations, comme moi, qui voient plus la montée de plaisir là-dedans; mais pour d’autres, ça va être énormément de peur, mais, à la fin, ils vont être fiers d’avoir réussi à le faire. » Suzie Laprise, du Complexe Atlantide

Comme les éléments les plus impressionnants n’existent avant tout que dans l’imagination des participants ou le jeu des acteurs, le cadre peut devenir un contexte privilégié pour affronter des craintes assez gênantes, en ayant la certitude qu’en cas de panique, le jeu s’arrêtera. Chacun des responsables rencontrés est d’ailleurs en mesure de nommer des situations où des acteurs ont subitement réduit l’intensité de leur jeu, ou dans certains cas, rappelé verbalement qu’il ne s’agit que d’une inoffensive mise en scène.  Emmanuel de Gouvello se souvient même d’avoir vu plusieurs personnes venir livrer entre les murs d’Échappe-Toi leur combat contre la claustrophobie, bien que certains en eurent trop honte pour l’évoquer ouvertement : « Ils se rendent compte qu’ils avaient seulement besoin d’être accompagnés, en fait. Quand on crée une situation où on les immerge graduellement dans un local fermé, on leur dit ‟La porte est ouverte, vous la refermerez quand vous voudrez”. Il vient un moment où ils se rendent compte qu’ils sont dans un environnement fermé, mais que cela ne les gêne plus. On l’a vu régulièrement chez nous. »

Monsieur de Gouvello sait toutefois qu’avant que se crée ce climat chaleureux et propice à ce que les frayeurs aident à se dépasser, les acteurs accompagnateurs doivent parfois amener les groupes à désamorcer d’autres comportements obsessifs ou malheureusement souvent trop valorisés hors de l’univers ludique : « Le problème que l’on a, nous, principalement, ce sont des gens qui veulent absolument être performants quand ils viennent chez nous, plus que les émotions négatives d’ailleurs. »

 

Photo de Evan Kirby sur Unsplash

Print Friendly, PDF & Email
Marie-Hélène Proulx
Fondatrice en 2017 de Portail Immersion, Marie-Hélène est avant tout une passionnée des activités et des loisirs immersifs avec une très grande expérience dans la production de répertoire pour les loisirs et la jeunesse.