Les esprits s’échauffaient chez Pur Vodka, bien avant la pandémie!
Le besoin d’innover n’a pas attendu une crise pour apparaitre. Il a seulement rendu les besoins d’innover plus urgents, et plus déchirante la question de la résistance au changement. Pourtant, alors que les travaux s’empilent sur les bonnes marches à suivre, pourquoi reste-t-il encore si difficile pour un gestionnaire, dans bien des cas, de partager sa flamme?
Des conseils plein nos tiroirs
Et ce n’est pourtant souvent pas le besoin d’opérer des changements qui manque! Yves-Chantal Gagnon, auteur de Réussir le changement, mobiliser et soutenir le personnel, décrit les entrepreneurs qui font appel à ses services de consultant comme bien conscients de la nécessité d’innover : « Les entrepreneurs ont toujours été préoccupés par le changement lui-même, parce qu’ils doivent le vivre; mais de là à bien le gérer, ça, c’est un peu différent. Nous nous sommes aperçus que 60 à 70 % des changements ne sont pas pleinement réussis, et c’est encore le cas aujourd’hui, ce qui fait que ça interroge encore le domaine scientifique. Cela signifie que l’objectif que nous cherchions à atteindre n’a pas été atteint, ou encore que les transformations que nous voulions faire ne se sont pas produites comme elles devaient se produire. »
Martin Lauzier, qui dirige la chaire de recherche Addocéo, en gestion des ressources humaines, à l’Université du Québec en Outaouais, affirme que malheureusement, lorsqu’une transformation s’impose, les gestionnaires ont tendance à planifier le temps de transition en fonction des heures pour visser les écrous des nouvelles installations. La transformation des mentalités, quant à elle, est trop souvent laissée entre les mains du hasard : « En une semaine, il est possible que l’entrepreneur ait fait l’acquisition des machines dont il avait besoin pour sa production, et les gens parviennent à tâtons, sur les étages de production, à faire sortir le produit au bout de la chaine. Mais est-ce que ce serait le produit que l’on pourrait s’attendre à créer dans une entreprise cinq étoiles qui est vraiment experte là-dedans, qui croit en son produit et qui a vraiment une image de marque complète autour de celui-ci? Non. Ça, c’est quelque chose qui se développe dans le temps et avec l’investissement. »
Pourtant, les gestionnaires se retrouvent davantage devant l’embarras du choix qu’en manque de ressources, lorsqu’il s’agit de remettre les pendules à l’heure. Martin Lauzier évoque qu’en googlant les termes « gestion du changement » ou « management change », n’importe qui peut accéder à plusieurs millions de résultats. Cela n’a pas empêché ce qu’il qualifie de « dialogue de sourds » de s’installer entre les chercheurs, souvent passionnés d’études basées sur la réalité de mégaorganisations et les petits entrepreneurs du coin, qui peinent à décortiquer des études « relativement proportionnelles », avec « résultats chi-carré » à l’appui. La tentation peut alors devenir grande, sur le terrain, de s’inspirer plutôt des bons coups, glanés sur un blogue, ou dans les conseils du voisin. À titre de chercheur, Martin Lauzier incite toutefois à la prudence avant de s’identifier trop rapidement à des succès anecdotiques et il encourage les entrepreneurs à multiplier leurs sources d’information.
Inversement, Yves-Chantal Gagnon entrevoit comme une erreur tout aussi fondamentale, sinon plus, une proposition de formation hyper-documentée et présentée en étapes, pour induire le changement, avant même que, sur le terrain, les personnes concernées n’aient eu l’occasion d’ajouter leur grain de sel à la vision de ce qui doit s’ensuivre. Et, d’après ce professeur, qui enseigne également la gestion du changement à l’École nationale d’administration publique ENAP, les grandes organisations et les services publics sont loin d’être épargnés par cette fâcheuse tendance à produire des documents « préliminaires » de 200 ou 300 pages : « Au gouvernement fédéral, ils font ça très souvent : on y trouve toutes les phases qui vont suivre. Mais lorsque l’on tente d’appliquer cela, les problèmes arrivent. Moi, je suis plus pratico-pratique. Je leur dis : ‟Lorsque vous savez que vous avez un changement, vous arriverez à le faire jusqu’où vos employés vont vouloir vous amener.” Pour moi, c’est ça, la réussite d’un changement : c’est que tout le monde est arrivé en même temps et que nous avons un résultat …mais ce n’est pas toujours le résultat qui avait été planifié au début. »
Accepterais-tu que je te mobilise?
Et s’il y a bien un point sur lequel les chercheurs universitaires et les entrepreneurs rencontrés se rejoignent, c’est bien celui de l’importance de flairer le vent, à l’intérieur des équipes, avant de les impliquer dans un projet qui semble fondamental aux décideurs. Pour le fondateur de Pur Vodka, Nicolas Duvernois, une telle discussion s’est soldée par le choix de ceux qui s’orienteraient, au moins pour un moment, vers les besoins urgents de santé publique et ceux qui continueraient à veiller sur la vodka : « Je ne gère pas mon entreprise comme une dictature. Je n’ai pas dit à tout le monde : ‟On va faire du désinfectant à main!”. Je leur ai dit ‟Voici l’idée que j’ai : est-ce que nous embarquons ou non?”. C’est clair qu’il est super important, lorsque nous prenons une décision aussi drastique, de le faire en équipe. Parallèlement, notre principale raison d’être, la production de spiritueux, a continué aussi. Nous avons donc séparé l’équipe. »
Le récit semble indiquer que cette transition-ci s’est faite sans trop d’égratignures, mais Yves-Chantal Gagnon prévient qu’une telle démarche d’écoute peut parfois mener à la conclusion que, vu la conjoncture, les appréhensions et la disposition de chacun à entamer le changement, il vaudrait mieux entreprendre seulement la moitié du changement espéré au départ. Un gros deuil, pour un grand rêveur, à la tête d’une entreprise? Sans aucun doute! Et c’est pourquoi ce consultant confie que, souvent, une bonne partie du travail de consultant en changement des mentalités se concentre entre les deux oreilles des gestionnaires.
Les dirigeants qu’Yves-Chantal Gagnon voit saisir avec difficulté la pertinence des objections de leur équipe ne ferment toutefois pas toujours la porte aussi ouvertement. La contrainte peut s’imposer plus insidieusement, par des modes de consultation très encadrés, comme des sondages, durant ou après lesquels les personnes consultées n’ont pas l’impression d’avoir été véritablement entendues : « Même si on distribue des formulaires pour leur demander ce qu’ils pensent du changement, il faut d’abord demander au gestionnaire s’il est prêt à écouter ses employés. Jusqu’où est-il prêt à aller entendre des remarques de ses employés? Est-il prêt à couper son changement en deux, pour n’en faire qu’une seule moitié, mais une moitié qui fonctionne? Si le gestionnaire me répond qu’il n’en est pas question parce qu’il a un délai restreint pour arriver à son objectif, c’est automatique que nous ayons d’énormes difficultés. »
Savoir ensemble prévenir les coups!
Pour Dave Welsch, à la tête de Défi-Évasion, le choix de consulter son monde s’est imposé à lui après avoir pu constater à maintes reprises qu’il avait besoin de beaucoup plus que ses deux yeux et ses dix doigts pour voir, toucher et imaginer tout ce qui devait être pris en considération dans le processus créatif de ses nouveaux jeux :
« Nous avons monté une équipe de travail qui faisait en sorte que les employés avaient comme première étape de nous montrer comment ils pouvaient faire avancer le projet et comment ils l’imaginaient, sans contraintes. À partir de là, ma blonde et moi avions le rôle, pas exactement de les superviser, mais davantage de les recentrer face à des finalités qui pourraient être simples tout en apportant une valeur ajoutée. Ici, ce sont nos deux axes de production : simplicité et ajout de valeur. » Dave Welsch, copropriétaire de Défi-Évasion
Une telle approche a non seulement l’avantage de multiplier les idées, mais aussi de décupler le sentiment d’appartenance. Cet atout n’est pas négligeable, lorsque d’autres virages s’annoncent, et qu’il est possible de devoir faire marche arrière. Selon Yves-Chantal Gagnon, le fait de bien comprendre les tenants et les aboutissants des démarches qui ont mené aux différents choix peut amener toute l’équipe à reconnaitre, parfois, que tous les efforts consacrés à une « fausse bonne idée » pourraient être mieux utilisés ailleurs : « C’est toujours la même chose : les humains vont vous suivre s’ils comprennent ce que vous voulez faire et où vous voulez aller, et que vous leur partagez les résultats que vous obtenez. Les exécutants sont aussi intelligents que les gestionnaires. Eux aussi vont finir par se dire que ça ne va nulle part et qu’il faut revenir en arrière. »
Yves-Chantal Gagnon encourage cependant les gestionnaires à se rapprocher de leurs équipes non seulement dans les moments de créativité ou de mobilisation, mais aussi lorsqu’il s’agit d’anticiper les écueils, avant même que les tensions ne se révèlent : « Ça peut fragiliser effectivement une équipe si un employeur prend seulement en considération les pieds carrés qu’il sauve en continuant en télétravail et annonce à ses employés qu’ils doivent demeurer en télétravail sans se rendre compte que cela crée des problèmes à la maison pour les employés. Si on se retrouve entre deux dynamiques aussi opposées, soit que les employés vont démissionner, s’ils peuvent le faire, soit qu’ils vont devoir rester et vous allez avoir des problèmes de productivité. »
Osez la transparence
Et Yves-Chantal Gagnon reconnaît que certaines résistances au changement ont leur raison d’être et que ce qui est bien pour l’entreprise ne l’est pas nécessairement pour les employés, ou encore pour les clients. Or, les employés ne sont pas toujours prêts à se contenter d’une logique basée sur le profit du patron, ou encore à la défendre auprès des clients, s’ils sentent qu’ils ont trop à perdre ou qu’on leur cache quelque chose à propos des retombées attendues de cette adaptation : « Parce que même si vous êtes motivés et fiers de travailler pour une entreprise, et que je vous arrive avec un changement dont vous ne voyez pas l’utilité, que vous ne voyez pas où cela va donner, ou encore, ce que j’ai vu dans certaines entreprises, que l’employé savait qu’il allait perdre son poste à cause de ce changement, parce que vous allez le remplacer par des robots ou des processus usinés, si vous lui demandez de collaborer au changement, comprenez-vous qu’il y aura un problème? »
Ce professeur de l’ENAP persiste néanmoins à croire qu’aborder franchement la nécessité du changement et les risques qui y sont associés apparait comme une stratégie nettement plus prometteuse que de tenter de le faire accepter à petite dose, en le présentant comme une dérogation temporaire : « Si vous faites une promesse comme celle de revenir comme c’était avant, et que vous n’y revenez pas, vous allez avoir des problèmes. C’est la base même de la réussite d’un changement. Si les gens n’ont pas confiance dans leur gestionnaire, ils vont suivre seulement parce que vous êtes le patron. Et dans ces cas-là, on ne va pas avec le changement. »
Les gestionnaires qui font appel aux services d’Yves-Chantal Gagnon pour dépasser la résistance au changement ne préparent pas forcément d’aussi mauvaises surprises à leurs équipes. Mais il remarque qu’il suffit parfois d’une communication déficiente pour que les aménagements prévus par la direction pour préserver les conditions des troupes ne soient pas perçus à leur juste valeur : « J’ai déjà vu des cas où toute une classification de postes disparaissait, et on m’a appelé en panique parce que les employés ne collaboraient pas …parce qu’ils perdaient leur poste ! Mais au fond, le patron, lui, savait que les employés allaient être qualifiés et repris ailleurs. Mais cela n’avait pas été clarifié. »
De l’écoute à l’agréable
Garder toujours une longueur d’avance sur ses équipes de travail pour leur assurer des conditions gagnantes dans le changement tient néanmoins parfois presque de l’exploit quotidien. Car il ne faut pas oublier que lorsqu’un changement radical s’impose, dans des conditions passablement imprévues, le gestionnaire se retrouve, lui aussi, à devoir se surpasser à cœur de jour, souvent au risque de perdre son propre bien-être de vue. À ce propos, Nicolas Duvernois, qui se dit pourtant fier d’avoir foncé et d’avoir entrainé son équipe dans une conversion vers les désinfectants à main, admet qu’à certains moments, son propre équilibre a été difficile à trouver : « C’est sûr que le télétravail est une bibitte à apprivoiser. Quand on n’a pas trop l’habitude de vivre avec, on ne sait pas trop comment le faire. Cela a été assez difficile, parce que se mettre des limites lorsqu’on est chez soi, ce n’est pas évident à faire. C’est vraiment ce que j’aurais changé : cela a été de comprendre personnellement, pour moi, qu’il y a des moments où je devais arrêter de travailler. Je crois que le télétravail n’est pas fait pour tous les types de personnalités. Lorsque ça arrive comme une tonne de briques, sans préavis, sans préparation, sans connaissance, c’est ce que cela donne. »
Par contre, une fois bien mobilisées, la force du groupe et la dynamique critique qui finissent par s’installer autour des conséquences appréhendées à s’investir ou à ne pas s’investir dans les changements proposés ne nuit pas forcément aux intérêts des gestionnaires. Martin Lauzier avance que la prise de conscience de l’urgence de la situation et du rôle de chacun pour assurer l’avenir de tous pourrait entrainer une forte pression à s’impliquer dans le changement, dans la relation informelle entre pairs : « Je crois qu’en contexte de crise sanitaire, il est peut-être un peu plus facile de faire miroiter des bénéfices chez les employés et de croire que les employés vont adhérer à ces idées-là davantage qu’en temps normal, parce qu’il y a tellement de pression imposée aux organisations que le fait de ne pas se mobiliser ou de ne pas rentrer dans les rangs pourrait mettre à mal le travail de l’employé ou même l’organisation au complet. »
Plus petit, mais plus mobile
Nicolas Duvernois, Dave Welsch et d’autres innovateurs de leur trempe auraient-ils donc pu trouver, dans les livres, les façons d’éviter les écueils qui les ont frappés en cours de route? Il est vrai que les chercheurs ont davantage construit leurs théories du changement en fonction de ces modèles d’organisation complexes ou exemplaires, qu’en observant les jeunes entreprises du coin. Ils admettent néanmoins que ces organisations de taille plus humaine bénéficient néanmoins de quelques atouts supplémentaires lorsqu’il s’agit de se transformer rapidement.
Se sentir étroitement liés avec ceux et celles qui tiennent les cordons de la bourse rend plus conscients de la précarité de la situation et du fait que, si le bateau coule, tout le monde risque d’y passer. Ce principe reste vrai pour les plus grandes entreprises, mais Yves-Chantal Gagnon fait remarquer que plus l’entreprise grandit et se complexifie, plus le sentiment de responsabilité se diffuse :
« Dans une PME, nous voyons tout de suite que si nous ne faisons rien et que l’on ne fait pas d’argent, l’employé risque de perdre son poste. Le lien entre ma contribution directe et la survie de l’entreprise est plus difficile à faire dans une grande entreprise. » Yves-Chantal Gagnon, professeur de ressources humaines à l’ENAP
Et il n’est pas le seul à le penser. En début de crise, Dave Wesch a même vu plus d’avantages que d’inconvénients à fonctionner en équipe réduite et a préféré retarder l’inclusion d’experts. Devant autant d’ambiguïté, pouvoir justifier ses tâtonnements devant un cercle plus limité a même contribué à lui alléger la tâche : « Ça peut sembler drôle, et je l’ai même déjà dit en farce : avoir donné le mandat à une énorme entreprise, je ne suis pas certain qu’il y aurait eu un niveau de qualité comme celui que nous avons présenté, dans un délai aussi court. »
L’art d’accéder aux idées géniales
De plus, le chercheur Martin Lauzier, également co-auteur d’Améliorer la gestion du changement dans les organisations, explique que l’ajout d’intermédiaires implique que plusieurs personnes, qui ne savent trop ce qu’elles peuvent dire ou non, se retrouvent avec un pouvoir limité pour faire avancer une bonne idée. La confiance devient donc d’emblée plus difficile à gagner, avant même que le désir de cacher des choses ne soit en cause : « Si vous êtes un gestionnaire de premier niveau, même si vous êtes un leader responsable de changement, si vous êtes dans une entreprise de 3000 personnes, votre rôle demeure assez conditionné. Si vous êtes un entrepreneur dans une entreprise de 17 personnes, peut-être que vous avez une plus grande marge de manœuvre. Et oui, forcément, le fait d’être visionnaire et d’avoir une bonne tolérance à l’ambiguïté et de savoir comment calmer et rassurer ses troupes va être important. »
Nicolas Duvernois raconte d’ailleurs avoir bénéficié, autant que ses employés, de cette dynamique de la porte ouverte. Il admet même douter que ces réflexes pour soupeser les risques, en se croisant dans le corridor, se maintiennent aussi spontanément lorsque la structure s’alourdit : « Je ne veux pas dire que les gestionnaires de carrières sont moins dynamiques, moins motivés, mais je crois que le fondateur, c’est moi. Je suis là, et les gens de mon équipe peuvent avoir une réponse plus rapidement. Nous pouvons aussi avoir une cohabitation plus grande avec le risque. Nous pouvons avoir une flexibilité plus rapide. C’est sûr qu’il y a certains avantages. Si tout doit passer par le conseil d’administration ou par différents comités, cela peut ralentir grandement le processus. »
Et lorsqu’il s’agit de retourner convaincre ses troupes, la taille de l’équipe et le rôle de chacun ne sont pas anodins non plus. Grossir l’équipe permet de se partager la tâche, mais ne change rien au fait que chacun a besoin d’être totalement convaincu pour y mettre le cœur. Rendre son enthousiasme pour ses rêves contagieux, comme on pouvait le faire auparavant à demi-mots, avec des collègues proches, n’est pas aussi facile lorsqu’on ne les voit plus qu’au party de Noël.
Pour donner du sens à ce que l’on partage
Toutes ces exigences d’écoute et d’adaptation laissent l’impression que chacun s’y retrouve autant en position d’enseignement que d’apprentissage, ce qui semble mettre à mal l’idée qu’il suffit d’une formation bien orchestrée pour faire passer un changement organisationnel éprouvant. Martin Lauzier persiste néanmoins à croire au rôle essentiel de la formation, ou, du moins, des efforts pour modifier à façon dont les employés perçoivent l’idée de l’avenir de leur entreprise et du rôle que chacun pourrait y jouer. Il décline cette démarche pour transformer cette vision partagée en cinq grands leviers :
- Faire ressortir l’écart entre la situation actuelle et la situation désirée.
- Démontrer que la solution proposée résout adéquatement la problématique.
- Assurer et savoir garantir, aux yeux de tous, un soutien organisationnel à travers ces transformations.
- Rassurer les travailleurs sur le plan de leur efficacité personnelle et leur permettre de la rehausser, au besoin.
- Fournir suffisamment d’idées de bénéfices, de reconnaissance ou d’appât du gain pour les travailleurs, s’ils s’engagent dans un tel changement.
Ainsi, pour Martin Lauzier, l’importance déjà soulignée de rendre tangible, aux yeux des employés, le profit qu’ils tirent pour eux-mêmes, tant sur le plan psychologique, identitaire que matériel, ne serait qu’un pilier, parmi d’autres, à considérer lors de l’adhésion à un changement. Mais beaucoup d’autres éléments constitueraient des rouages tout aussi essentiels à la transformation des mentalités. Ce chercheur se veut toutefois rassurant : en contexte plus ou moins de survie économique, comme la crise sanitaire actuelle, l’écart entre l’équilibre perdu et celui que l’équipe aspire à retrouver, ou encore les solutions qui semblent s’imposer pour aller de l’avant, peuvent susciter une adhésion plus spontanée : « Parce que, pour des raisons très externes, les gens vont emboiter le pas parce qu’ils vont vouloir trouver une solution à la crise sanitaire, parce que tout est mieux que la situation actuelle. »
Mais les autres leviers cités par Martin Lauzier obligent plus directement l’employeur à prendre sur lui d’offrir l’encadrement et la formation nécessaires pour faire passer le projet du rêve à l’envie concrète de réalisation. Et les employés peuvent s’attendre à ce que l’employeur démontre son intention de retenir leurs meilleurs joueurs, au moins jusqu’au terme de la tempête. Ils se montreront sans doute aussi vigilants aux signes que leur offre leur gestionnaire qu’il est lui-même prêt à s’investir pour leur offrir les encadrements humains et les apprentissages pour contribuer à la poursuite du projet.
Former sans déformer l’équipe
En ce sens, le chercheur ne peut qu’approuver l’initiative de Nicolas Duvernois, qui a fait appel, dès le départ, à quelques expertises pharmaceutiques, pour faciliter la transition de la Vodka au désinfectant. Martin Lauzier précise : « Donc, je pense que l’inclusion de personnes comme cela, qui viennent de l’extérieur, c’est assez symbolique et significatif de quelque chose qui pourrait marquer l’esprit des gens au quotidien. Cela signifie : ‟On vient de s’assurer d’avoir l’aide nécessaire pour régler les problèmes X, Y et Z durant cette transformation. Nous y croyons en tant qu’équipe de direction.” Donc, le soutien organisationnel perçu doit être un autre élément très important à maintenir, et ce, tout au long de la transformation, pour s’assurer qu’une masse critique de travailleurs demeure dans le coup. »
L’inclusion d’une expertise peut bien sûr apporter, en plus d’un soutien ponctuel, un lot de compétences à transmettre. Et il est fondamental, toujours selon Martin Lauzier, de se donner les moyens d’organiser ce transfert, pour que les employés en viennent rapidement à la conclusion, non seulement que le changement est faisable, mais qu’ils sont ou peuvent devenir les bonnes personnes pour le faire, en augmentant leur sentiment d’efficacité personnelle : « Plusieurs vont se dire qu’ils étaient excellents avant pour le procédé X, lorsqu’il fallait que l’on fabrique notre produit Y; mais là, si tu me demandes, du jour au lendemain, de produire du gel sanitaire, je ne me vois pas du tout comme un expert de cela. »
Valoriser ainsi le savoir-faire des nouveaux venus nécessite toutefois une certaine dose de doigté. Chacun peut en effet avoir l’impression de se retrouver au même point devant un nouveau domaine. Pourtant, pour quelqu’un qui tente de performer toujours davantage depuis des mois ou des années sur l’échiquier de l’organisation, se retrouver soudainement au rôle de pion, ou se sentir comme tel sur le plan des compétences n’apparait pas comme la position la plus enviable.
Cette insécurité reliée au changement de rôle semble toutefois peu explorée par la recherche et ne pas avoir été un souci de première ligne pour les entrepreneurs rencontrés. Cela peut probablement s’expliquer en bonne partie par le fait que dans les équipes bien soudées comme celle de Dave Welsch, il est ouvertement manifesté que la valeur du savoir-être vient souvent damer le pion à celle au savoir-faire, dès le processus d’embauche et tout au long de la collaboration : « J’aime beaucoup mieux quelqu’un qui est débutant dans ce domaine, mais qui a le couteau entre les dents et qui veut faire avancer les choses que quelqu’un avec beaucoup d’expérience qui est latent dans son approche. Nous n’avons personne qui est sur les talons dans notre équipe. »
Voici donc quelques éléments pour s’assurer que, lorsque tout autour se métamorphose, nos ressources humaines demeurent du côté des ressources et non des problèmes à régler. Mais d’autres éléments d’une culture d’entreprise et de la place qu’elle occupe la prédisposent à tirer son épingle du jeu, en temps de changement. Pour les connaitre, retournez à l’origine de l’histoire, avec Changer son ADN organisationnel : mission impossible?
On ne peut toutefois pas, même avec toutes les réticences du monde, résister totalement à la mouvance environnante. Quelles sont alors les grandes lignes qui commencent à se dessiner pour la suite des choses? Nos entrepreneurs et chercheurs poursuivront sur cette voie dans notre prochain article, avec Une occasion de se redéfinir? Vraiment?