Crédit photo Martine Paquette
À la question de savoir quel est le profil de formation idéal pour devenir un immerseur de terrain ou encore, si une formation en théâtre prépare bien à l’immersion, la réponse, qu’ont pu découvrir Frédéric Guay et ses pairs par l’expérience, est loin d’être tranchée : « Déjà, lorsque j’ai commencé mon premier projet, au Baluchon, les gens pouvaient communiquer avec les immerseurs. Il y en a qui parlaient beaucoup et les acteurs devaient s’adapter. ».
Immerger, c’est interagir
Voilà pourquoi, pour les employeurs potentiels rencontrés, le sens de la répartie et les talents d’animateurs sont aussi importants, sinon plus, que les aptitudes à interpréter. Dans les jeux d’évasion, les relations avec le public sont, en principe, moins directes. Mais même chez Immersia, Maxime Filion doit s’assurer que les maîtres de jeu parviennent rapidement à développer le sens de l’écoute nécessaire pour cerner, par-delà des mots, le point optimal de rencontre entre leur tempérament et celui de la bande de joueurs devant leur écran : « Et après, le rôle du maître de jeu, c’est non seulement de s’assurer que le scénario suit son cours, et que l’on déclenche les bonnes choses au bon moment, c’est aussi de s’assurer, avant même que les gens ne demandent un indice, que les gens en auraient besoin. Il faut être capable de le sentir, lorsque les gens commencent à perdre patience. Parfois, les joueurs oublient qu’ils peuvent demander des indices. »
Tous les autres artisans de Maxime Filion vivent aussi avec le fait que les participants ne comprennent ou ne désirent pas toujours suivre les règles que l’on voudrait leur imposer : « Parce qu’une scénographie de théâtre, où les décors sont sur une scène, et où les comédiens sont conscients des dangers reliés au décor, et au fait que tel morceau ne doit pas être touché parce qu’il n’est pas très solide, c’est tout à fait différent du contexte où des joueurs se retrouvent là, tous ensemble, à faire ce qu’ils veulent. Donc, lorsqu’on embauche une scénographe, il faut qu’elle soit consciente du phénomène. »
Les animateurs théâtraux doivent aussi se sentir prêts à accepter les aléas d’une clientèle qui exige d’être satisfaite à chaque moment, sans nécessairement préserver la réserve face à la démarche propre à l’artiste que l’on pourrait s’attendre à retrouver, dans d’autres contextes : « Si je cite en exemple mon parcours dans Mékinac, j’ai tout entendu : trop dur, trop long, tu aurais dû le faire autrement. Quand tu vas au théâtre, tu ne dis pas à l’auteur ou au comédien d’arrêter de pleurer parce que ça te dérange. Les gens ne lisent pas les directives et ils vont quand même assez vite : alors ils sautent des étapes, font des erreurs et en sont frustrés. »
De même, le public qui se laisse ainsi déstabiliser par l’immersion improvise aussi. Frédéric Lalumière prévient donc ses recrues qu’ils ne doivent plus exiger que leur assistance se conforme à de quelconques normes de gratifications de politesse : « Si les gens n’ont pas envie d’applaudir, ils ne le feront pas. Il ne faut pas s’attendre à une gratification. Ça, c’est un bonus. Un bonus qui arrive souvent, parce qu’ils sont bons, mais il ne faut pas s’y attendre. ».
Ces moments difficiles ne font toutefois pas oublier à Frédéric Guay que les expériences de L’Aventureux lui apportent ce qu’un public sage et figé ne pourrait lui offrir : « Je pense même que lorsque je fais l’activité Conquistador, j’ai autant de plaisir à animer que mes clients en ont à jouer. À chaque fois, c’est différent. Et ça, les gens le sentent. ».
Un métier qui s’improvise… avec l’expérience
Pour oser ainsi affronter les foules, les immerseurs doivent donc posséder une bonne dose d’aplomb. Et ceux qui sont interrogés ici ne se cachent pas pour dire qu’il en est du plaisir immersif comme du bon vin : il gagne en force et en vigueur avec le temps. Naturellement, le domaine ne compte pas encore tant de vieux routiers pour prendre la relève. Et pour les immerseurs embaucheurs, c’est encore souvent avec un peu de flair, lors d’une entrevue, et en immergeant ensuite directement leurs nouvelles recrues dans l’action, en compagnie d’improvisateurs plus expérimentés, qu’ils évaluent leur savoir-faire et leur capacité d’apprendre.
L’équipe d’acteurs d’Oyez Oyez, se fait mettre à rude épreuve, dès le départ. Et Frédéric Lalumière constate que le travail d’improvisateur les pousse à explorer des aspects d’eux-mêmes auxquels ils n’avaient pas nécessairement pensé devoir faire appel un jour : « Ils vont faire des tournois scolaires en premier. Ce sont des genres de Fort Boyard. On veut les voir travailler dans une condition extrême où on anime des jeunes, parfois 400 jeunes dans une même journée. C’est intense. Il y a 20 autres comédiens qui l’entourent. Ça nous permet de sonder sa résistance. On voit s’il est capable de faire une journée de travail comme celle-là. Ce n’est plus tout le monde qui est capable de le faire. Si on compte la mise en place, c’est de huit heures à quinze heures. »
Par contre, cette nécessité d’apprendre à dompter une personnalité qui se démarque et colle à chaque situation n’empêche pas de devoir se conformer à certains critères d’excellence déjà prédéfinis et à travers lesquels les nouveaux venus devront apprendre à trouver leur équilibre, à même le feu de l’action : « Nos meilleurs, ce sont ceux qui ont une bonne expérience d’improvisateur. Ils savent s’adapter. Ils ne sont pas obligés de tout connaitre, mais la seule chose que je leur demande, c’est de ne pas dire des niaiseries, de ne pas faire semblant de tout connaitre. Tu peux faire des blagues, si tu veux, mais ne dis pas n’importe quoi. ».
L’expérience, ça se fabrique
À ceux qui rêveraient de se lancer dans un tel bataillon, Frédéric Lalumière ne suggère pas nécessairement de commencer par l’inscription en bonne et due forme dans une école de théâtre. Il encourage, surtout les plus jeunes, à commencer par l’improvisation, comme il l’a fait lui-même, ou encore, par un emploi d’animateur dans un camp de jour.
Il s’agit d’une bonne initiative aussi, à l’avis de Louis Cournoyer, qui remarque qu’il peut exister tout un monde entre le fait de se sentir différent, d’aspirer à un travail plus libre et plus ludique, et celui de se sentir apte à se plier aux exigences d’un tel horizon professionnel. L’accumulation des expériences, et la confiance en ses capacités qu’on y acquiert, peut alors contribuer à vérifier si les aspirations peuvent corresponde à la réalité : « On pourrait résumer cela comme le sentiment de contrôle que j’ai de mes capacités. Donc, si je veux agir autrement, à la base, ça me prend une dose de confiance et de reconnaissance de mes ressources. Donc, ce n’est pas automatique. Le jeune qui reste tout seul dans son sous-sol avec ses jeux vidéo, il se peut que ce ne soit pas ça du tout. »
Chez Immersia, les maîtres de jeu sont appelés à travailler en solitaires. Maxime Filion et son équipe ont donc dû s’ingénier à concevoir des formations, qui commencent par une dizaine d’heures d’accompagnement, auxquelles s’ajoutent parfois des ateliers sur la façon de donner des indices. Ceci doit toutefois se faire en subtilité, puisqu’il ne s’agit jamais de reproduire une copie conforme de ses prédécesseurs : « Il y a quand même une base commune à respecter, mais, parfois, chaque personne a sa personnalité et peut-être qu’il y en a un qui aura un côté plus baveux dans un certain scénario. Et cela peut fonctionner, si ça correspond au personnage qui doit donner des indices. Parce que ce n’est pas un Maxime Filion qui va donner les indices. Cela peut être une voisine un peu coquine dans l’histoire du scénario. Et tout va dépendre du groupe qui est là. Si c’est une famille, on va gérer ça différemment d’une bande d’adolescents qui sont un peu turbulents. ».
Il s’agit donc d’une première étape pour des formateurs qui doivent négocier avec le fait de devoir partir de leurs propres connaissances et d’une expérience assez récente pour encadrer ceux qui arrivent. Dans certains cas, dont celui de Frédéric Guay, il semblerait même que cette proximité entre les formateurs et les formés favorise une dynamique de cocréation : « Je viens d’en engager un nouveau. Ça fait cinq fois qu’il fait le Conquistador avec moi. Il est vraiment bon. Déjà, à partir de la troisième fois, il me suggérait des idées! Ce serait quelqu’un à qui je serais capable de confier les rênes, à un moment donné. Mais je ne me sentirais jamais à l’aise d’expliquer à quelqu’un comment ça fonctionne et de le laisser s’en occuper. Mon nouvel employé a pris sa place, d’expérience en expérience. C’est pour cela qu’il est en mesure de contrôler le jeu. Mais il a eu la chance de voir des petits et des gros groupes, des gens qui ont eu différentes réactions. J’aime mieux faire des formations comme cela. »
En effet, les immerseurs de longue date, tout comme les nouveaux venus, sont toujours en recherche de professionnels qui les inspirent, d’expériences qui pourraient les amener à se dépasser. Pourtant, Louis Cournoyer demeure convaincu que ce qui semble être le propre d’un domaine un peu bizarroïde et en émergence comme l’immersion correspondrait plutôt à la nature même d’un parcours de carrière, qui est amené à évoluer au cours de la vie d’un individu, aujourd’hui plus que jamais : « En réalité, ce que l’on est, c’est le fruit d’une suite de constructions, d’expériences, d’apprentissages de vie. À travers cela, nous apprenons des choses sur nous, mais aussi, sur des enjeux qui nous sont propres, comme des peurs et des doutes. »
Des détours donnant du sens au parcours
Monsieur Cournoyer tente néanmoins, dans son quotidien de conseiller d’orientation, d’en aider plusieurs à dépasser les craintes plus ou moins rationnelles. Il sait bien que, à une époque où le milieu de l’emploi est marqué par l’instabilité, les passages transitoires comme ceux de Frédéric Guay, diplômé en informatique, celui du passionné de jeu vidéo Maxime Filion et de l’ancien étudiant en histoire Frédéric Lalumière, ne constituent pas des détours inutiles, lorsqu’elles révèlent des forces de manière inusitée : « Une personne créative, c’est une personne qui est capable d’utiliser ses expériences émotives pour les modeler et les transformer à travers un objet nouveau. On peut penser à l’art visuel, mais un bon pédagogue va aussi être une personne créative puisqu’il doit inventer une nouvelle façon de transmettre des connaissances. »
Oser s’approcher au bon moment de ceux qui nous ressemblent, bizarroïdes ou pas, peut tout de même permettre au meilleur de soi de rayonner pour un bon bout de temps. Et Frédéric Lalumière ne cache pas sa fierté d’avoir découvert le conteur Éric Michaud, maintenant notoirement connu, alors qu’il travaillait au Dragon Rouge, et avoir entendu également les musiciens Trad du Le Vent du Nord lancer leurs premières notes sur les planches de son restaurant, avant que celles-ci n’enchantent le reste de la planète. Ces défis quotidiens n’ont pas non plus empêché Frédéric Guay de se compter heureux d’avoir trouvé des clients ayant dépisté l’immerseur en herbe qu’il allait devenir, au moment où le terme n’avait encore pour lui que peu de signification. Il demeure convaincu que son modèle d’affaires antécédent, dont les revenus provenaient de la promotion des événements des autres, aurait été réduit en miettes par l’avènement de méga entreprises comme Tuango et Groupon.
Et maintenant, entre une activité de « Conquistador » et une bombe à désamorcer, pas question de baisser les armes. Au contraire, c’est cet Aventureux qui s’assure de renouveler les concepts et de raviver la flamme immersive de ceux qui, autrefois, ont fait appel à lui, au Baluchon : « Au début, je ne savais pas trop ce qu’ils faisaient. J’ai lu les synopsis de leurs anciennes pièces et je leur ai dit ‟Si vous me demandez de faire quelque chose comme ça, ce sera non. ”. Moi, ma philosophie, c’est que les gens doivent être actifs. »
- Pour en savoir un peu plus sur l’origine et le parcours de quelques-uns de non pionniers de l’immersion, voyez la partie 1 : L’entrée dans le monde immersif
- Si vous désirez vous initier aux défis qui entourent la mise en place d’un projet ou même d’une entreprise immersive, consultez la partie 2 : Pour jouer, il faut vendre
- Pour ceux qui voudraient s’informer des enjeux du métier pour les années à venir, dans l’immersion, consultez la partie 3 : Profils interactifs recherchés