Crédit photo de Défi Challenge 8000
Pour les gestionnaires, le choix de trancher avec le rythme habituel du travail pour entraîner tout le monde dans une activité de bienfaisance de sa préférence, un choix désintéressé ? Un choix que, pourtant, plusieurs auront à justifier aux yeux de leurs propres supérieurs, surtout si l’activité nécessite d’être financée. Mais à quel impact sur les relations internes de l’entreprise peut-on vraiment s’attendre d’un épisode de classement en commun de boîtes de conserve ?
La consolidation sociale, un bien nécessaire
Mélanie Grégoire, co-présidente de Brisson Legris, une firme de conseillers et de coachs en orientation et réinsertion professionnelle, a choisi pour sa part de s’impliquer socialement, au nom de son entreprise, et d’inciter tous les membres de son équipe à faire de même. Ils sont tous appelés à participer à des activités de groupes, mais aussi de façon plus individuelle, ou encore, par leurs gestes quotidiens, en milieu de travail, que ce soit sur le plan humain ou écologique.
Selon cette experte dans le domaine des ressources humaines, une telle orientation vers l’engagement social est non seulement une façon d’enrichir les relations au sein de l’entreprise, mais est devenue une quasi-nécessité, afin de demeurer attrayants aux yeux des nouvelles générations d’employés : «Je crois qu’il va y en avoir de plus en plus et elles seront de plus en plus créatives, encore plus dans un contexte de plein-emploi, où les employeurs veulent attirer les meilleures ressources; et, pour y arriver, il faut faire la promesse d’un environnement qui va leur ressembler et qui va être autre chose que simplement du travail routinier. » Du côté des organismes d’accueil aussi, Richard Daneau, directeur général de Moisson Montréal, sent ce souci des employeurs de démontrer la pertinence de leur propre investissement social, comme une plus-value au yeux de leurs employés: « De plus en plus, les gens vont vouloir donner à des organismes ou à des causes qui sont chères à leurs employés. Donc, il y a un intérêt à gagner le cœur des employés et à leur démontrer la pertinence de ce que l’on fait. »
Ces implications amènent d’autres avantages dignes de mention à Madame Grégoire et son équipe. Le Défi Challenge Québec 800, pour lequel elle s’entraîne et part en escapade de course 4 jours par année, est devenu pour elle une occasion de réseautage avec des entreprises partageant ses valeurs. À l’intérieur de l’entreprise, l’implication dans des projets de bienfaisance correspondant à son idéal entrepreneurial permet aussi de garder ses valeurs vivantes d’une façon plus innovatrice qu’en les martelant à la tête de son équipe : « Avant d’acheter un produit, il faut que tu aies vu le logo trois fois. Moi, je fais vraiment le parallèle avec le sentiment de vivre des expériences répétées qui sont à la couleur des valeurs de l’entreprise. À force de vivre, tu les intègres. »
Richard Daneau remarque d’ailleurs que les gestionnaires qui entrevoient des liens entre les valeurs de leur entreprise et celles du milieu de bienfaisance sont souvent ceux qui ont le plus tendance à revenir les aider à de nombreuses reprises. Il pense que son organisme est alors en mesure de proposer un cadre moins théorique pour les mettre de l’avant : « C’est bien différent que d’aller dans une classe de gestion ou une séance de travail sur le leadership collaboratif. Nous ne sommes pas là du tout. Nous sommes en quelque chose de beaucoup plus fondamental concernant l’entraide et l’esprit communautaire. » Mais il reste à savoir comment se fera le lien entre une activité d’une durée de 3 à 7 heures, le sentiment d’accomplissement momentané, et les transferts que chacun saura réaliser par la suite avec son travail quotidien.
Un des secrets qu’est prête à partager Mélanie Grégoire pour que les projets d’implication soulèvent l’enthousiasme tant attendu par les gestionnaires est de consulter l’équipe, par des votes ou des discussions, dès le départ, sur les valeurs à travers lesquelles celle-ci aimerait s’investir. Ensuite vient l’idée du comment et du choix du projet qui permettra à chacun de faire appel à ses intérêts ou ses talents : « Chacune des personnes qui sont autour des projets peut le vivre différemment et cela peut être très correct. Une personne pourrait s’embarquer dans un défi de course à pied parce qu’elle aime courir. Un autre va dire que son engagement vient du fait que sa petite nièce a un trouble de santé mentale et que c’est sa façon de contribuer. Une autre peut dire qu’il a envie de faire la logistique de l’activité pour créer des contacts avec les gens de telle entreprise, de la firme d’avocat du bureau… »
Réjean Fournier, président de Fun Training, responsable notamment du Défi Challenge Québec 800, constate que, par nature, les activités de bienfaisance parviennent souvent plus aisément à convenir aux attentes des diverses générations d’une entreprise que ne le feraient beaucoup d’autres activités visant la consolidation : « Si tu invites tout ton monde à aller faire du Paintball, je ne suis pas certain que la dame de 55 ans va adorer ça. Par contre, si tu mobilises tout le monde à l’interne pour aller faire une activité de bienfaisance, pour aller faire du spaghetti dans une quelconque fondation, tu as pas mal plus de chances d’aller chercher tout le monde. » Pourtant, d’après Mélanie Grégoire, par un tel choix, on ne fait pas que troquer une expérience intense pour une activité banale. Elle y entrevoit une occasion de faire appel à une fibre beaucoup plus profonde de la sensibilité humaine, où l’idée que le soutien des collègue rend plus forts prend tout son sens :

Mélanie et son équipe du Défi Challenge 800
« Contrairement au Team Building où tu vas faire une activité tout le monde ensemble, je crois que le don de soi pour une cause qui rejoint le cœur de ceux qui y participent, nous permet de contribuer d’une façon plus significative et percutante, lorsque nous le faisons en groupe. » Mélanie Grégoire, de Brisson Legris
Les deux gestionnaires de Old Brewery et Moisson Montréal rencontrés affirment, quant à eux, qu’il demeure du devoir de leur organisme de s’assurer, par des visites et des vidéos, que les aidants du jour comprennent bien la pertinence de leur implication, malgré la banalité des gestes qu’ils devront répéter. Cette introduction est d’autant plus nécessaire, aux yeux de Richard Daneau, que plusieurs arrivent dans leurs ateliers sans même avoir consulté le site internet au préalable : « Mais s’ils comprennent que pour bien s’alimenter, les pois chiches peuvent faire partie de la solution, et que, pendant qu’ils travaillaient sur des pois chiches, d’autres ont travaillé sur des fruits et légumes et que c’est ce qui amène de la variété dans l’assiette, s’ils sont capables de voir cette grande chaîne d’entraide et de solidarité sociale, la pertinence de la chose apparaît. »
Le don te temps : un marché en explosion
À cela s’ajoute l’avantage, d’après Réjean Fournier, qu’en passant par l’appel aux valeurs plutôt que les émotions fortes, les employeurs réduisent les risques associés à l’activité : « Si tu invites tous les employés à aller faire du spaghetti Chez Doris, les risques qu’un employé se blesse sont minimes. ». Donc, une activité de bienfaisance, un choix à risque minimum et à bénéfice maximum? Encore faut-il prendre en considération le risque financier, qui peut être bien réel. Dans le grand marché de la bienfaisance, on trouve maintenant des activités à tous les prix, en passant de l’activité « gratuite », comme à Moisson Montréal, jusqu’à quelques milliers de dollars par participant ailleurs.
Cela n’empêche pas Moisson Montréal de revoir constamment l’ergonomie de sa chaîne de production pouvant accueillir jusqu’à 100 personnes, du service de stationnement jusqu’au dernier plateau de travail, en passant par la pause-repas afin de satisfaire cette manne de collaborateurs. Toutefois, si l’implication passe par un programme encadré, cela suppose aussi souvent que la première valeur interpellée soit l’humilité, puisque le travail y est souvent répétitif, admet David Leduc directeur exécutif du développement de la Mission Old Brewery : « Cela reste le service de repas; donc, il n’y a pas 300 options de tâches à faire. Il y en a qui restent dans la cuisine parce qu’ils se sentent plus à l’aise là-bas. Il y en a d’autres qui se sentent plus à l’aise à circuler dans la salle, nettoyer des tables et jaser un peu plus. ». L’Expérience d’un souper de Old Brewery permet néanmoins à des groupes de 8 à 12 personnes de choisir entre une douzaine de tâches simples, en cuisine ou en salle à manger.

Mission Old Brewery
Réjean Fournier prévient toutefois qu’une activité comme une levée de fond peut rapidement devenir onéreuse et souvent non rentable. La solution d’organiser l’activité soi-même peut parfois sembler une manière d’économiser, mais ce n’est pas toujours le cas, car, entre l’équipe inexpérimentée en logistique qui décrochera par manque d’encadrement et la plus motivée qui se mettra à y consacrer des semaines d’heures de travail rétribuées par l’employeur, les coûts consacrés peuvent devenir extrêmement variables. L’exploration de ces différentes options a mené Mélanie Grégoire à conclure que, même lorsqu’il est question de bienfaisance, il faut oser aborder la question de la valeur ajoutée associée aux coûts dès le départ : « Par exemple, si tu paies pour une activité, mais qu’elle est très bien encadrée et que tu as un repas, il faut qu’eux puissent faire le calcul de la valeur ajoutée qui fera que c’est plus que de donner de ton temps à la soupe populaire du coin de la rue. ».
Et plus le choix d’investissement prévu est intense, plus le suivi afin de s’assurer que l’expérience demeure bénéfique doit être grand. Ainsi, bien que Mélanie Grégoire parle encore de son expérience de marathonienne comme une des plus marquantes de ces dernières années, elle reconnaît qu’il aurait pu en être tout autrement, si elle avait pris à la légère les conseils de l’équipe de coachs qui l’entourait : « Si tu veux faire vivre une expérience extrême comme celle-là, 4 jours, ensemble, dans le même véhicule récréatif, avec 7 autres personnes, où tu ne dors pas bien, tu es toujours en mouvement et tu es fatigué, arrange-toi pour partager de l’information et élargir ta conscience avant de la vivre. Sinon, là, ça pourrait être traumatisant. »
Cette gestionnaire de PME rappelle alors que, même si un projet d’implication sociale est adopté après un consensus de l’équipe, il peut s’avérer exigeant, lors de la suite de l’aventure, et peut supposer qu’une fois lancé, une certaine pression sociale se fasse sentir pour le mener à bien. Elle se souvient même de celles qu’elle a subies, lorsque son entreprise a pris le virage vert : « Mais la pression que je vis n’est pas forcément mauvaise. Cela m’aide à prendre conscience, de temps en temps, de ce qui est bon pour la santé, la mienne et celle de l’environnement, la santé du bureau aussi. »
Pour comprendre ce que votre entreprise peut apporter à la communauté, consultez l’article Un coup de pouce aux organismes communautaires.
Pour avoir un aperçu des attentes et des réponses que de telles activités pourraient apporter aux employés, consultez Mon implication, mon entreprise.
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