Vous vous en doutiez bien en y faisant votre inscription, qu’une grande école de magie vous plongerait dans une réalité bien différente de votre petite école de quartier. Mais jamais vous n’auriez cru que l’on vous y demanderait d’accepter certains principes comme celui de l’esclavage, que vous et votre famille combattez depuis que vous avez vu le jour.
En effet, il peut être de bon ton, pour certains membres de la haute société magique, de se nantir d’un elfe de maison, dont quelques centaines ou milliers (on ne sait pas, personne ne recense ceux qui ont un statut sous-humain) vivraient encore en captivité. L’un accompagne constamment votre professeur de potion. Il se voit même régulièrement contraint de prêter une main ou un œil à une de ses expériences, à ses coups ou ses brûlures, pour qu’ensuite le ce grand maître puisse vous montrer les bienfaits d’un quelconque traitement de sa composition. Aucun de vous n’aurait supporter une seconde un tel sort.
Le professeur avait beau dire froidement « Ne vous en faites pas, il est habitué, c’est son rôle », mais de jour en jour, d’expérience en expérience, son sourire timide et son dévouement maladroit vous ont touché. Vous saviez qu’un elfe comme celui-ci avait inspiré un personnage de Harry Potter. Mais c’est en vous inquiétant pour lui et pour son pauvre esprit, que l’angoisse semble commencer à ronger jusqu’au délire, que vous avez vraiment senti le poids de toute cette injustice. Même si le maître laisse entendre que les elfes les plus méritants ont la chance de s’affranchir de la protection de leur maître et qu’il s’agit de la meilleure solution pour préserver les humains des pouvoirs magiques des autres, il ne parvient pas à vous convaincre de ses arguments.
En théorie, en effet, les elfes pourraient, paraît-il, racheter leur liberté. Il y aurait un moment dans le siècle où les contrats de servitudes pourraient être renégociés, selon les conjectures astrales et les conventions de la magie. Mais ces règlements, dont les clauses complexes demeurent des secrets rigoureusement gardés, font en sorte que ni vous, ni vos amis, et encore moins un petit être servile à l’esprit en délire n’êtes réellement en mesure de savoir quand et comment cet esclave pourrait accéder à la liberté. Heureusement, vous avez, dans votre groupe, un ami un peu illuminé et passionné par les questions de droits de la magie, qui a trouvé le moyen à quelques reprises de se faufiler en douce dans le département des archives privées de votre bibliothèque. Il en est ressorti avec la certitude que le moment déterminant du siècle où la liberté des elfes de votre contrée se décidera aura lieu ce soir même, à 11h42 et 37 secondes.
Vous savez que vous devrez opérer un rituel précis. Toutefois, comme votre copain ne pouvait pas traîner trop longtemps dans ce lieu interdit, il n’a pas trop pris le temps de comprendre les démarches et les moyens de conjurer le sort. C’est donc peu, très peu, pour essayer de déjouer les stratagèmes magiques bien établis par vos enseignants pour préserver leurs acquis et leur autorité. Tenter d’affronter vos maîtres sur leur propre terrain comporte un risque certain. Vous pensez quand même que l’affranchissement d’un elfe, pour les siècles à venir, en vaut la chandelle. Et puis, hors du cadre de l’école, vous avez appris à maîtriser les règles de la logique beaucoup mieux qu’on le fait ici. Alors, rendez-vous cette nuit, après le dernier tour de garde, à 10h42 dans le salon des étudiants.
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